Code Orange – Forever

2017 commence, et clairement, cette année encore plus que les autres, on risque de rigoler assez peu. Quelle ne fut donc pas la joie des amateurs de sonorités extrêmes à base de guitares saturées et de futs de batteries martyrisés lorsque fin 2016, les damnés de Code Orange ont annoncé le successeur du très bon I Am King. Groupe de punk hardcore originaire de Pittssburgh, Code Orange se distingue d’une scène qui tend rapidement a se mordre la queue par une violence sonore sans concessions, privilégiant un son gras et sale à des productions carrées et sur-mixées. Le résultat en live est dévastateur, le groupe retournant parfois -au sens quasi littéral du terme- les salles dans lesquelles il joue, et il est difficile lors de l’écoute des morceaux de ne pas ressentir son sang pulser -si tant est qu’on est un peu sensible a ce genre de sonorités. Forever, le troisième album du groupe, débarque donc comme un lourd parpaing jeté à la face de l’auditeur, et, même si l’appellation est quelque peu galvaudée, on peut parler ici d’un véritable album de la maturité.

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Forever commence sans préambule. Un court sample, un silence, et soudain, la tornade. Le premier morceau de l’album, Forever, renvoie l’auditeur en terrain connu, avec son rythme rapide qui tient presque du fastcore, et son breakdown grave, quasi assourdissant. Et puisqu’il sera question de breakdown a plusieurs reprises, courte mais indispensable explication du terme: le breakdown correspond a un changement de rythme dans le morceau, durant lequel le tempo devient plus lent, plus lourd, comportant peu de notes, et donnant aux auditeurs une envie soudaine d’oblitération totale de tout ce qui se tient devant eux – pour peu, une fois de plus, qu’on soit sensible a ce genre de choses. Et si Code Orange n’en ont pas fait leur marque de fabrique principale, le groupe dose savamment les breakdowns pour rythmer leurs compositions, n’hésitant pas parfois a ralentir le tempo pour mieux l’accélérer par la suite, puis le ralentir, comme le montre la dernière minute de Forever.

Comme beaucoup d’albums récents du genre, les morceaux s’enchaînent sans coupure, donnant l’effet d’un bloc compact de violence. Ainsi, la transition avec Kill The Creator surprend peu, tant les tempos semblent similaires. Puis soudain, incursion improbable et géniale d’un sample de percussions de basses, puis retour d’une successions de riffs dévastateurs, répétitifs certes, mais d’une efficacité qui ne demande qu’à être prouvée en live. L’utilisation d’effets de reverbs, de saturations, de samples, voire même de chœurs sur la fin du morceau renforcent par ailleurs l’ambiance pesante et chaotique que fait planer le groupe sur cet album, mais nous reviendrons sur ce point plus tard. Real semble casser un peu le rythme de l’album avec son introduction plus lente et sonnant plus grasse et sludge. Et quand le groupe se met a se la jouer spoken word hardcore sur ce qui sonne comme une boite a rythme, puis rempile sur un breakdown aussi subtil qu’un lancer de marteau (je défie quiconque d’écouter ce morceau sans se mettre a dodeliner un tant soi peu de la tête), on comprend que l’idée d’évolution et de maturation évoquée par le groupe en interview n’était pas qu’un argument de vente. « When you feel settled in, I want it to just fuck you again » (« Dès que tu commences a t’y habituer, je veux qu’il te démonte une nouvelle fois »), déclarait Jamie Morgan, batteur et chanteur du groupe a propos de l’album. Sur trois morceaux, on visite déjà quelques ambiances bien différentes, pour notre plus grand bonheur.

Sur I Am King, le morceau Dreams Of Inertia faisait la part belle a un tempo plus lent, et laissait la guitariste et chanteuse Reba Meyers prendre le relai avec un chant plus doux, plus calme, mais pas moins torturé. Bleeding in The Blur reprend cette recette, et le groupe se transforme soudain en groupe de post-hardcore, abandonnant les breakdowns et les hurlements au profit d’un chant féminin bienvenu et d’une rythmique bien plus rock. On peut reconnaître dans le morceau une légère influence Smashing Pumpkins, mais en bien plus brutal, et transpirant toujours la même négativité. Autant dire que la cassure avec The Mud est sévère, on passe du calme (relatif) à un nouveau déferlement de violence, ponctué par de petits beats à la boite a rythme qui donnent un côté industriel et totalitaire au morceau. Le mélange des chants clairs et gutturaux sur le refrain donne à l’ensemble un côté fataliste et terrible, et le break ambient / noise au milieu du morceau démontre une fois de plus l’envie du groupe a expérimenter de nouvelles sonorités, ce qu’il fait d’ailleurs avec brio. Sur les pistes suivantes, The New Reality et Spy, retour a du Code Orange classique, avec une mélodie saccadée, pesante, toute en puissance, que sublime la saturation sur le chant. Une fois de plus, on a l’impression de se retrouver en plein chaos, au milieu d’une tourbe noirâtre et poisseuse dont on ne peut étrangement pas se soustraire.

Puis arrive Ugly, et de nouveau, étonnement. Ce morceau semble sorti de nulle part, avec ses chantonnements, sa rythmique et ses riffs qui sonnent très Nirvana (notamment au niveau du son de basse, qui évoque Come As You are), et quand les chanteurs s’époumonent sur le refrain, on ressent comme une envie d’enfiler sa cagoule et de déclencher une émeute. Véritable hymne de motivation à la guerre, le morceau est étrangement l’un des plus calmes de l’album, et surtout l’un des plus réussi, car il témoigne d’une évolution sonore réfléchie et surtout assumée pleinement par le groupe. Alors que l’auditeur s’apprête a crier grâce, No One Is Untouchable, morceau transpirant la rage, vient remettre le couvert. Des breakdowns qui s’enchaînent aux samples ultra saturés, en passant par les hurlements de Jamie Morgan qui se font de plus en plus menaçants, tandis que la section cordes du groupe martyrise ses instruments, tout invite dans cette piste a une envie de destruction absolue. Le calme revient avec The Hurt Goes On, piste quasi instrumentale aux influences presque ambient, et l’album s’achève avec dream2, qui poursuit la lancée calme, presque fataliste du morceau précédent. La guitariste Reba Mayers livre ici un chant désabusé, plein de désespoir, qui ajoute un côté quasi nihiliste au morceau.

Prenons maintenant quelques secondes pour reprendre notre souffle. La traversée de cet album est une épreuve faite de violence, d’une bonne dose de noirceur, mais le jeu en vaut largement la chandelle. Code Orange n’est de loin pas le groupe le plus technique officiant dans le genre, mais là ou beaucoup tombent dans l’écueil d’une sur-production visant à gommer toutes traces de personnalité dans leur son, Code Orange privilégie une ambiance globale à des enchaînements bas du front et bourrin. « It’s just pain, whether it’s, like, truly physical, or a little more bizarre. There’s a lot of bands about fun, especially in hardcore. Our band is not about fun. It’s never fun, but it’s rewarding » déclaraient les membres du groupe a propos de la gestation de l’album. De douleur, il en est question dans tout l’album, tant les sonorités semblent être l’expression d’esprits torturés par le monde, par la vie, et par tout ce qui fait l’authenticité et l’humanité du groupe, bien loin des classiques bodybuilders en débardeurs toujours prompt a livrer un énième single sans âme.

Bien sur, l’album se destine évidemment a un public habitué du genre, mais selon la sensibilité de chacun, il est possible d’y trouver des sonorités, mélodies, rythmiques ou lignes de chant qui feront mouche. Code Orange, album metal de l’année? Trop tôt pour se prononcer, très clairement. Peut-être trop confidentiel, aussi, bien loin des canaux de diffusions des grands groupes. Toujours est-il que cette livraison du groupe s’accueille avec plaisir, et donne a ce début d’année 2017 une touche de piquant et d’originalité dont peu peuvent se targuer. Pour ceux convaincus par l’album, on ne saurait trop vous recommander de vivre l’expérience en live, tant l’ambiance est chaleureuse et particulière lors de ce genre d’événements, comme en témoigne cette performance en 2015. Pour conclure, Forever est un inratable pour tous les amateurs de metal qui se respectent, et une introduction solide et sans concession dans les terres du hardcore pour ceux qui daignent lui accorder l’attention qu’il mérite.