Droogz Brigade- Projet Ludovico

Les dernières nouvelles de Droogz Brigade datent de 2008, où l’excellent EP Dissections avait fait grand bruit dans l’underground français. On y avait découvert un univers fait de références aux films d’horreurs à l’ancienne, aux samples baroques, mené de main de maître par 5 MCs allaités au Moloko. Hyper référencé, Orange Mécanique en tête, le crew Toulousain livre 8 ans plus tard son premier album, en ayant fait monter la pression sur son audimat à coups de feats tous plus excellents les uns que les autres. Et voilà qu’en 2016 sort Projet Ludovico, preuve s’il en est que Staff L’Instable, Rhama le Singe, Sad Vicious, Herken et Al’Tarba n’ont rien perdu de leur verve.

Avant toute chose, il est nécessaire de préciser que la source d’inspiration du crew se trouve du coté de l’oeuvre Orange Mécanique. Du nom du groupe (Droogies signifiant « amis » dans le Nadsat, la langue inventée par l’auteur Anthony Burgess) au titre de l’album, Ludovico étant le nom du programme que subit le protagoniste d’Orange Mécanique. Et on s’imagine bien qu’en utilisant un univers aussi sombre que celui ci comme inspiration, couplé à de solides références du coté des vieux films d’horreurs,on ne peut que s’attendre à un résultat explosif.

S’il fallait commencer par la fin, autant le dire de suite: l’album est d’une rare excellence. Les Mcs semblent tous déchainés, crachent leur tripes et vident leurs sacs sur des beats fous produits par un Al’Tarba au top de sa forme. En se penchant sur les textes, on est frappés par la diversité des thèmes, et surtout la manière dont ils sont traités: là où un rappeur classique se perdra dans un story telling pour raconter sa vie, Droogz Brigade préfère rentrer dans le lard de l’auditeur, cracher chaque rime avec une telle hargne -et parfois une telle tristesse- qu’on se sent comme pris à parti par les rappeurs, comme s’ils étaient à coté de nous au bar, et c’est là que leurs élucubrations prennent tout leur sens. Commencer par la Fin, Aquarelle ou Baton de Fer sont de très bons exemples, mélangeant passages autobiographiques et imaginaire décomplexé qui semble être inspiré par les films de Romero et les séries Z. Mais si le propos n’est pas toujours des plus joyeux, les droogies savent se monter bien énervés et développer des ambiances aux odeurs de drogues, de bières, de canicules et de sueur. J’en veux pour preuve l’excellent Street Trash et son clip hyper barré, inspiré du film d’horreur Street Trash (qui est par ailleurs une tuerie), véritable ode à la décadence, et l’un des gros coups de cœurs de l’album , Pogote Avec Ton Nodz, qui donne envie de foncer dans la fosse avec sa Harrington et ses Doc Martens, et de sauter dans tous les sens comme à un bon concert de punk. Et c’est là que Droogz Brigade prend tout son sens.

Car en effet, la force du crew Toulousain ne réside pas forcément dans les thèmes qu’il traite, mais réellement dans la manière dont il les traite. On retrouve une écriture très cinématographique, composée d’images un peu dérangées et souvent un poil sordides, mais qui servent un propos qui sonne très honnête et juste. Le groupe semble loin de s’inventer un vécu, et préfère relater des expériences passées, s’en inspirer pour écrire des textes tragicomiques. Et c’est là qu’est l’esprit du crew, soudé comme la bande d’Alex au début d’Orange Mécanique,et qui se ressent à la fois dans la symbiose quasi parfaite qui les lie, mais également sur des morceaux comme Toujours avec Nous ou Droogzbrothers, qui sont des belles hymnes a l’amitié et la fratrie, et qui tranchent avec le coté assez sombre que peut avoir l’album par moments.

Projet Ludovico, c’est un peu ce qu’on pourrait attendre d’un bon album de rap: des instrus d’une qualité rare (merci Al’Tarba, encore une fois), des featurings de qualité, toujours cohérents et qui ne tombent jamais dans le pur argument de vente –Les Feux de la Bourre, plus brutal qu’un enchainement dans Mortal Kombat-, et surtout, un album suffisamment long pour qu’on ne reste pas sur sa faim. 17 morceaux pour une durée totale d’1h13, mine de rien c’est assez rare pour être souligné, et Droogz Brigade nous tiens en haleine tout au long de cet espèce de voyage fou.

Project Ludovico, c’est un peu comme un verre de Moloko couplé à quelques shooters de Viper, le tout servi par des barmans fêlés mais très talentueux. Un must-have de ce début d’année, parfait pour détester son prochain, démarrer des pogos entre copains, et déambuler dans les rues la nuit. Tout ce qu’on aime, somme toute. Alors, pas d’hésitations, dans tous les cas « vous allez fondre pour le Moloko rap de Tolosa comme les clochards dans Street Trash ».