Kanye West – The Life of Pablo

Quand l’artiste Kanye West est obscurci par le personnage public Kanye West, il en ressort souvent un espèce de mélange assez risible, fait de tweets pas toujours très fins, de prises de positions douteuses, de délires mystiques et de défilés de modes dignes d’un film de science fiction des années 80, type Dune. Depuis Yeezus, Kanye a toujours revendiqué ce coté très hautain, persuadé qu’il est d’être le meilleur de tous, et d’avoir toujours un temps d’avance, au point de s’aimer lui-même plus qu’il n’aime sa femme ou ses fans.

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The Life of Pablo est donc tout ce qu’on était en droit d’attendre de l’entité Kanye West, sorte de Docteur Jekyll et Mister Hide du rap: un album pas toujours très compréhensible, souvent assez brouillon, mais à l’ambition débordante. Toutefois, l’Enfer est pavé de bonnes intentions, et la question qui nous taraude est: « Mais que vaut cet album? », et on est en droit de se la poser, Kanye ayant présenté son nouveau bébé (pas Saint, non), comme un « album de gospel ».

Autant le dire tout de suite: The Life Of Pablo est bon. Pas excellent, mais suffisamment osé pour être intéressant à écouter, bien que souffrant d’un effet très « fourre-tout », qui se ressent autant au niveau des instrus que des thèmes abordés par les textes. Kanye affirme son amour de Dieu sur un morceau, avant de lâcher par la suite quelques vers sur son envie de coucher avec Taylor Swift, puis de se perdre dans des élucubrations mi émouvantes-mi tragiques sur sa relation avec sa famille ou son quartier. Une fois de plus, on peut saluer l’ambition du bonhomme, qui le pousse a aller toujours plus loin dans ses délires… pas forcément toujours si inspirés qu’il voudrait le faire croire d’ailleurs.

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Cet effet fourre-tout n’est toutefois pas désagréable à l’oreille. En effet, la diversité des thèmes et instrus permet à Kanye de donner toute la mesure de son talent et de sa versatilité, que ce soit en rappant avec la fougue qu’on lui connaissait sur My Beautiful Dark Twisted Fantasy avec un morceau comme Famous (qui rappellera justement à certains l’excellent All of The Lights), ou en se faisant plus doux et émotif sur Real Friends, qui parle de son style de vie décousu et de ses problèmes familiaux. Et que dire du casting dont Kanye s’entoure sur l’album! Rihanna, Chance The Rapper (inarrêtable sur Ultralight Beam), Mike Dean, l’inénarrable Kendrick Lamar -qui bien que toujours très bon, convainc moyennement sur No More Parties in L.A– et même le rappeur-surfeur Max B, illustre inconnu pour certains et grand parmi les grands pour d’autres, qui livre un des interludes les plus barrés au titre équivoque: Siiiiiiiilver Surffffeeeeer Intermission.

Mais malgré tout, l’album n’est pas parfait, mais perfectible, et c’est là qu’est la nuance. Cet album, qui révèle un peu plus la psyché complètement folle du personnage Kanye, rentre en collision avec l’artiste Kanye, qui savait s’entourer de producteurs de génies pouvant le canaliser (on se rappellera des 10 jours de Rick Rubin pour mixer Yeezus), et c’est ce qui faisait la différence entre une œuvre de génie et un bordel monstrueux. Ici, Kanye semble se contenter de balancer des morceaux à la suite, en nous en expliquant toutes les subtilités nécessaires pour le comprendre. En roue libre, il alterne éclats de folie, états d’âmes, revendication de son identité et égo surdimensionné sur une heure complète, et on a souvent l’impression d’être en croisière mouvementée avec un capitaine qui est le seul à savoir où il va.

The Life of Pablo est un album un peu bâtard dans la discographie de Kanye, pas assez excellent pour nous faire tomber de nos chaises, mais qui s’apprécie car, s’il semble souvent ne s’adresser qu’à lui même, Kanye se dévoile aussi encore un peu plus aux yeux du monde. Cela n’excuse par contre en rien deux choses: la médiocrité de l’artwork, qui semble avoir été réalisé à la va-vite par des étudiants en arts encore ivres la la veille, et l’absence d’All Day de la tracklist, qui était quand même un énorme banger bien brutal qui aurait pu redonner un peu de souffle à l’album.

Loin d’être l’album de l’année que Kanye nous vendait, The Life Of pablo, par sa bizarrerie et son manque de concessions envers un public toujours plus avide, est probablement l’album que Kanye s’est auto-dédié, à lui même. Pour toujours et à jamais, « Kanye loves Kanye ».

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