To Pimp a Butterfly: Puissant et prestigieux

Après le succès de Good kid, m.A.A.d city, Kendrick Lamar était passé du stade de jeune rookie prometteur à celui de nouveau 2Pac (et on exagère à peine…). Le bougre ne s’était pas fait rare par la suite, enchainant les lives et les apparitions sur des projets des rappeurs de sa clique (et aussi chez les autres). 3 après le succès du premier album, Kendrick est de retour avec To Pimp a Butterfly.

Nul doute: on est clairement face à quelque chose de prodigieux. Sous tous les points. On aurait pu vous faire une explication de texte piste par piste. On aurait pu se perdre en élucubrations techniques quand au flow de Kendrick. Mais ca n’aurait pas été rendre justice à l’un des albums les plus puissants du hip-hop de ces 10 dernières années.  On savait Kendrick bien loin des préoccupations telles que le deal de drogues, la fortune amassée, ou encore le nombre d’armes possédées. On le savait plus proche d’un storytelling poussé, de belles instrumentalisations et d’un propos profond et social. Si Good kid m.A.A.d city (ré)introduisait ce concept, To Pimp a Butterfly en est le pinacle, la clé de voute.

On se retrouve face à un album qui sublime toutes les inspirations de Kendrick: du funk à la soul, en passant par le jazz. La direction artistique est, il faut bien l’avouer, incroyable. De Flying Lotus à Snoop Dogg, en passant par Thundercat, George Clinton et Robert Glasper, les invités sont prestigieux, et s’intègrent parfaitement à cet univers créé par Kendrick. Musicalement, c’est un patchwork sonore qui n’est jamais ostentatoire, bien qu’un peu difficile d’accès parfois. Et il fallait bien une production aussi solide pour supporter les thèmes de l’album, à la fois forts et intemporels : la race et la vie des noirs.

C’est là que To Pimp a Butterfly se distingue de Good kid, m.A.A.d city. Si ce dernier était plus accès sur l’évolution de Kendrick, cet album est plus général, moins centré sur lui même. Plus profond, l’album explore des thèmes de l’acceptation de l’identité, de la violence des gangs, de la colère ressentie au plus profond des ghettos de Compton. Des sujets puissants, des sujets crus, des sujets qui fâchent, mais des sujets qui ont forcé la comparaison avec les grands noms du rap américain « à l’ancienne », qui était la voix de la rue, et qui se voulait dénonciateur, introspectif et revendicateur.

Les deux premiers singles, et The Blacker the Berry, semblaient donner deux visions très différentes des sonorités de l’album. En effet, les 16 pistes explorent chacune à leur manière des thèmes et sonorités différentes, rendant de facto To Pimp A Butterfly parfois très dur d’accès. On est face à un album finalement très orienté soul et fun, à la manière du D’Angelo (toutes proportions gardées), qui s’inscrit plus dans la lignée de titres comme i que dans celle d’un The Blacker The Berry, somme toute assez peu représentatif de la direction sonore de l’album.

To Pimp a Butterfly est donc un album à la fois complet et complexe, une petite prouesse bien assumée par un Kendrick toujours plus mature et très bien entouré. Certes plus parlant pour les anglophones quand à ses lyrics, l’album n’en reste pas moins un des premiers gros incontournables de ce début d’année 2015, qui marque les 50 ans des émeutes du Watts, un quartier de Compton qui s’était rebellé contre les violences policières raciales. Et ce n’est probablement pas un hasard qu’une telle sortie arrive dans un climat aussi tendu en Amérique du Nord, car même s’il est revanchard, l’album semble aussi -et surtout!- vouloir ouvrir les yeux et réconcilier la rue et le pouvoir. Un beau programme, selon nous très bien rempli. Chapeau bas!