Nachtmystium – Resilient

Le black metal, c’est vaste. Le genre s’est exporté hors des frontières Norvégiennes, et s’est répandu sur toute l’Europe dès le milieu des années 1990. Toutefois, l’Oncle Sam n’allait pas échapper à ce nouveau mouvement musical, et les riffs glacés et hurlements de corbeaux sont sortis des forêts norvégiennes pour aller trouver refuge un peu partout sur le territoire américain, donnait du coup naissance à l’USBM. Le black metal américain, quoi. Les différences entre USBM et Black Metal « classique » découlent souvent  d’intégrations d’éléments liés à la culture américaine dans des morceaux; que ce soit via les instruments ou dans les thèmes. Cobalt intègre à ses compositions des mélodies sorties tout droit d’un western, Panopticon réalise des albums concepts entiers sur l’automne dans les Rocheuses Américaines, et Nachtmystium… Nachtmystium, c’est un cas un peu particulier.
Arnaques, addictions à l’héroïne mettant en péril l’avenir du groupe, démêlés judiciaires, prétendue appartenance à la mouvance National Socialist Black Metal , Blake Judd, le fondateur, chanteur et guitariste du groupe de l’Illinois, n’as pas la réputation d’être quelqu’un de fréquentable. Et ça se sent dans son black metal. Sale et abrasif, dans la plus pure tradition de Carpathian Forest ou Darkthrone à ses débuts, Nachtmystium s’est peu à peu métamorphosé, pour évoluer à la frontière entre rock psychédélique, heavy metal et black metal. Selon Judd, le groupe ne jouerai d’ailleurs même pas du black metal… Toujours est-il que Nachtmystium a sorti d’excellents albums, notamment les deux opus Black Needle Part. 1 et Part. 2 ou Silencing Machine (l’une des meilleures portes d’entrée dans l’univers du groupe). Splitté en 2014 par Blake Judd, a l’époque en cure de désintoxication, Nachtmystium revient en cette fin d’année avec Resilient, premier EP du groupe depuis The World We Left Behind, qui avait laissé les fans sur leur faim. Nouveau line up, nouveau départ, alors faisons fi du lourd passé de Blake Judd et plongeons dans Resilient.

La résilience est, en psychologie, la capacité à résister aux aléas de la vie, en absorbant les perturbations qui peuvent arriver et en continuant à vivre. On peut, en connaissant l’histoire de Nachtmystium, tracer sans problème un parallèle entre ce titre et les péripéties de Blake Judd, d’ailleurs représenté sur l’artwork avec un masque qui n’est pas sans rappeler celui d’Hannibal Lecter. L’introduction de l’album, Conversion, est un extrait sonore du film Requiem For A Dream. On est plongé dans le sujet directement, Blake Judd semble avoir un message à faire passer avec cet album, et s’il voulait poser une ambiance, il n’aurait pas pu faire mieux.

Resilient, le morceau éponyme, nous fait retrouver un Nachtmystium bien plus mélancolique qu’auparavant. Porté par le timbre de voix râpeux et éraillé de Blake Judd, le titre oscille entre balade doom et black metal. Le tempo est lent, sans être funèbre, et les solos et chœurs rajoutent une touche plus brute et directe au morceau. C’est d’ailleurs un point fort qu’on retrouve régulièrement sur l’EP, une capacité à casser le rythme et à apporter de la diversité. Resilient, avec son changement d’ambiance subit au milieu du morceau, et surtout par ses chœurs qui portent littéralement les dernières minutes du morceau, nous réintroduit dans l’univers musical de Nachtmystium, où les genres n’ont plus vraiment d’importance; c’est dans l’effet que produisent les sonorités empruntées à ceux-ci que se trouve la force du groupe.

Silver Lanterns est un pur retour au riffing solide qu’on connaît à Blake Judd. On retrouve dans le morceau tous les éléments propres au black metal: tremolo picking noyé dans la reverb, accélération du tempo, et surtout un jeu de batterie explosif de la part de Jean-Michel Graffio. Toutefois, une mélancolie se dégage une fois de plus du morceau, dans sa mélodie d’une part, mais surtout dans les alternances de chants entre Judd et Martin van Valkenstijn. On retrouve également la touche expérimentale du groupe dans les multiples effets sonores rajoutant une ambiance mi-industrielle mi-éthérée au morceau. Ces effets font d’ailleurs leur retour sur Desert Illumination, probablement le morceau le plus intéressant de l’album.

S’ouvrant sur une rythmique inspirée du doom, au tempo macabre, Desert Illumination est l’occasion pour Blake Judd de se laisser aller au chant clair, et d’exploiter des sonorités quasi spatiales dans la composition du morceau. Ponctué de rires de femmes, Blake Judd et son timbre de voix rocailleux psalmodient tandis que le riff de guitare semble durer des heures. Les synthétiseurs jouent également un rôle d’importance dans l’ambiance globale du morceau, et sont des nappes atmosphériques douces qui ajoutent au calme presque funèbre de la piste. Le groupe s’aventure sur les terrains du rock progressif, avec ce solo Pink Floydien soutenu par des bongos -oui, des bongos dans du black metal-, mais c’est pour mieux revenir, au terme d’un énième changement de rythme, à du black metal véloce, froid et brutal. La ligne de basse assurée par van Valkenstijin se marie parfaitement à la guitare lead, et on peut pour le coup saluer le mixage du son qui fait ressortir son jeu rapide à la perfection.Le final du morceau voit le retour des effets sonores spatiaux, et c’est sur un fade-out pour le coup un peu rapide que se conclut Desert Illumination, et par le même coup Resilient.


Nachtmystium, en reconversion musicale ou en constante évolution? Difficile à dire, et l’écoute de cet album ne permet pas de donner une réponse bien précise. Certes, on retrouve toutes les influences du groupe, leurs sonorités classiques, voire même quelques riffs et structures mélodiques ayant un petit air de déjà-vu. La formule fonctionne toujours aussi bien, et ce mélange des genres est toujours maîtrisé par Judd et sa bande. Par contre, Resilient intègre des influences qu’on avait encore peu entendues chez le groupe. L’aspect rock progressif est encore plus mis en avant qu’auparavant, Desert Illumination en est la preuve. La prise de risque est en tout cas réussie sur ce morceau, et il est un peu dommage qu’il faille attendre celui-ci pour retrouver quelque chose de vraiment neuf dans la musique du groupe. Cela dit, c’est avec plaisir qu’on se replonge dans l’univers torturé de Blake Judd, qui nous raconte sur Resilient ses combats avec la drogue, et livre un très bon EP. Nachtmystium est toujours debout, et si le groupe se décide à prolonger l’expérimentation, dans le sillage des Urfaust et Hail Spirit Noir, nul doute que leur prochaine sortie risque d’être d’excellente facture.