Lil Peep – Come Over When You’re Sober Pt. 2

15 novembre 2017. Un message tourne ce matin là un peu partout: « Lil Peep est mort ». Gustave Ahr, de son vrai nom, venait de déceder d’une overdose de Fentanyl à l’arrière de son tour bus, après un concert, 3 mois tout pile après la sortie de son premier album, Come Over When You’re Sober Pt.1. 21 ans, c’est jeune. Et même si quelques mois plus tard le décès d’XXXTentacion (et plus récemment celui de Mac Miller) ont rappelé que drogues, dépressions et train de vie stressant ne font pas bon ménage, le décès de Lil Peep était marquant pour de multiples raisons. Il y avait toute cette imagerie émo-gothique assumée pleinement, ces nombreuses références au suicide et à la dépression, mais surtout ce personnage. Pale, presque émacié, dont le sourire semblait couvrir une tristesse profonde, et qui posait sur un monde sombre un triste regard -aux pupilles souvent dilatées par diverses substances.

Dans la foulée du décès, de nombreux morceaux sont sortis à titre posthume. Lil Peep avait en effet plusieurs projets sur le feu, qu’il s’agisse d’EPs ou de collaborations déjà maquettées. On peut retenir entre autres 4 Gold Chains, produit par Clams Casino (un EP serait d’ailleurs en cours de production à partir des passages en studio de Peep et Clams), Spotlight, réalisé par le producteur d’EDM Marshmello, ou encore Sunlight On Your Skin, enregistré avec ILoveMakonnen. Le 15 octobre était annoncé la suite de Come Over When You’re Sober Pt.1, sobrement intitulée Come Over When You’re Sober Pt.2, et qu’on abrègera ici par COWYS2.

Lourde tâche que de succéder à un album considéra par beaucoup comme étant le pinacle de la production soundcloud-rap américaine. L’album avait installé Lil Peep dans l’imaginaire collectif comme un nouveau Kurt Cobain, et son décès tragique n’a rien fait pour contredire cette affirmation du New York Times. Alors, est-ce que COWYS2 remplira les attentes des fans de la première heure ? Fera-t-il taire ceux qui considèrent Lil Peep comme une imposture ayant joué avec les codes d’un genre pour en faire un business ? Est-ce un bon album ?

Dans l’ordre : oui, probablement pas, et oui. COWYS2 est un bon album, un très bel album surtout. Les amateurs des premières mixtapes de Lil Peep avaient été quelque peu surpris du tournant relativement lisse qu’avait pris l’artiste à la sortie de COWYS1. Ici, Lil Peep fait ce qu’il a toujours su faire : raconter la dépression avec simplicité et honnêteté, sans autre filtre que l’autotune mis sur sa voix. Broken Smile (My All) nous plonge d’ailleurs immédiatement dans l’ambiance. Complainte dédiée à l’on ne sait quelle fille, ce morceau produit -comme la majorité de l’album- par Smokeasac voit Lil Peep brouiller encore plus la frontière entre rock alternatif et rap. Le refrain, chanté à gorge déployé, résonne comme un cri dans le vide, et les arpèges et riffs de guitare soutenus par les 808 nous rappellent que s’il en a emprunté l’esthétique, Lil Peep a toujours été avant tout un grand amateur d’alt-rock et d’emo-rock. Ça se ressent dans la musique comme dans les thématiques. La difficulté d’être accepté par le monde et par les autres, la solitude, la drogue, et cette sensation de marcher au plus près de la falaise et d’être à l’aise au plus proche de la mort.

La recherche de mélodies a toujours été l’un des points forts de Lil Peep. S’il était également apprécié pour son talent à poser sur des bangers d’emo trap – n’oublions jamais PS Fuck You Cunt ou les deux EPs Castles I et IILil Peep a créé sa signature sonore distinctive sur trois aspects : sa voix, son chant et ses intonations. Comme tout bon chanteur de rock, il se balade allègrement entre voix de tête et soupirs désabusés, chantant avec assurance toute sa peine d’une voix faussement hésitante. Rejeté comme une rockstar en devenir, Lil Peep livre sur Runaway et sur Hate Me une déclaration de haine a ses détracteurs, qui ne sonne pas en tant que tel : c’est du sentiment d’isolement qui découle de la haine des autres qu’il parle. Sa ghost girl n’est toujours qu’un mythe, et on ne sait trop si c’est sa ville ou sa vie qu’il veut quitter.

Peut-être son ex, qui malgré tout fut toujours là pour lui et à laquelle il s’adresse dans Sex With My Ex, comme si les rapports charnels restaient la dernière chose le rattachant un peu à la vie. Les relations sociales -qu’elles soient amoureuses, amicales ou parentales- sont souvent désastreuses dans le monde de Lil Peep. Cry Alone, un des premiers singles sortis de l’album, enchaîne références aux verres en Styrofoam remplis de lean et aux lignes de blanche pour calmer la rage qui justifierai de « brûler le lycée ». Solitude, drugs and emo trap is the new Sex,Drugs and Rock N Roll, et ce n’est pas l’instru de Smokeasac, IIVI et Dylan Cooper, toute en riffs et en arpèges de guitares qui fera dire le contraire. Bien moins pop rock dans l’esprit que son prédécesseur, COWYS2 trouve une grande cohérence dans sa direction artistique, autant en matière de sujets qu’en matière d’instrumentations. On note d’ailleurs un soin particulier apporté aux enchaînements des morceaux. Sex With My Ex, Cry Alone, Leanin et 16 Lines se suivent, et c’est un peu comme une entrée dans un journal intime d’adolescent. Entre aveux trop sincères pour être faux, prises de drogues et pleurs solitaires, Lil Peep ne propose pas de solutions miracles à la déprime. Il expose ses propres problèmes, et c’est ce qui rend sa musique si cathartique et si efficace.

Les enchainements de morceaux, en montagnes russes, correspondent d’ailleurs très bien au tiraillement entre dépression et exaltation sous opiacés. Life Is Beautiful est l’un des moments forts de l’album, qui sort d’ailleurs un peu de l’ordinaire pour un morceau de Lil Peep. Plein d’ironie, ce dernier détaille tous les pires aspects de la vie: les décès des proches, être rejeté par les autres, le cancer, les violences policières, et le suicide. Toutefois, si Lil Peep n’avait jamais évoqué une réelle peur de mourir -au contraire- c’est cette fois ci le point culminant du morceau: mourir, et mourir seul. « I think I’ma die alone inside my room” , « And in the end, when I die, would you watch me? », autant de rappels qu’une existence de solitaire serait moins pire qu’une mort solitaire. Chose intéressante, le morceau a été écrit en 2015 avant d’être remasterisé pour l’album. A cette époque, Hellboy, la mixtape phare de Peep n’était pas encore sortie, mais on sent une certaine maturité et surtout un esprit déjà sombre et torturé.

Construit tout autant comme une carte d’entrée dans son univers que comme un dernier hommage pour ses (nombreux) fans, Come Over When You’re Sober Pt. 2  est comme une ouverture de testament en public, sauf qu’en lieu et place d’argent, on ne tombe que sur des morceaux de papiers couverts de dessins et de paroles de chansons, un vieux Macbook rempli de démos, quelques extas et un cran d’arrêt. C’est à peu de chose près de quoi Smokeasac est parti pour produire l’album, pour un résultat plus que convaincant. Bien sûr, l’album convaincra les fans de la première heure et les nouveaux, tant il reprends les recettes appréciées des précédents projets pour les rendre encore meilleurs. On peut comprendre certains des doutes qu’évoquent une partie des auditeurs concernant sa « fausse » dépression, tant l’inspiration emo-rock est présente dans chaque morceau. C’est pourtant là qu’est l’une des grandes forces de Peep sur COWYS2, les influences sont encore plus assumées que sur le premier opus, et en deviennent plus honnêtes et plus sincères. L’omniprésence de la guitare, le chant désespéré sur les refrains, même les thèmes lyricaux, tout rapproche cet album de la vague emo-rock.

En guise de preuve ultime -au sens propre et figuré- le dernier morceau de l’album dans sa version bonus : Sunlight On Your Skin, en featuring avec ILoveMakonnen. Le morceau est une version alternative de Falling Down, sorti quelques semaines plus tôt en featuring avec XXXTentacion (également sur l’album), et il est bien meilleur. On n’est plus vraiment face à du rap, c’est un morceau de pop-rock joué par un groupe de lycéens. Si l’on a un attachement particulier à ce genre de groupes, et à cet époque particulière où Sum 41, Good Charlotte ou Offsprings caracolaient en tête des charts américains, chantant la déprime adolescente, ce morceau résonne fort, comme un écho du passé. Et même sans attachement, la collaboration entre les deux artistes est l’une des meilleures pour chacun d’entre eux. Pourquoi? Parce qu’elle rappelle aux fans de la première heure le combo Lil Peep / Lil Tracy. Lil Peep, relégué au refrain, délivre une performance qu’on pourrait rapprocher de celle de Mark Hoppus, et ILoveMakonnen, aux couplets et aux ponts, chante son amour à distance comme possédé par l’esprit de Tom DeLonge. Et puis il y a cette prod de Mike Will Made It, parfaitement clichée, comme sortie d’un teen movie américain, qui colle du coup parfaitement à l’ambiance du morceau. Difficile, du coup, de comparer cette version à celle avec XXXTentacion, qui sonne bien plus classique, avec un passage chanté plutôt oubliable de celui-ci.

On tend de plus en plus à comparer les rappeurs aux rockstars. Style de vie, paroles, attitudes, nombre de rappeurs perpétuent l’héritage de Nikki Sixx ou Jim Morisson. Mais la nouvelle vague du sad rap -puisqu’il faut lui donner un nom- s’est focalisée sur le spleen et la tristesse récurrente dans les textes des rockeurs, pour y trouver une esthétique bien à elle. Lil Peep est celui qui aura réussi à canaliser le mieux l’esprit grunge/emo rock dans sa musique, et si ses successeurs sont nombreux, peu peuvent se targuer d’être sur une route les menant vers la même carrière que lui. Les rumeurs circulent encore sur des futures sorties, mais arrivé à la fin de cet album, on se demande si celles-ci seront bien utiles. A l’heure où ces lignes sont écrites, l’album a déjà rencontré un certain succès, et nul doute que des projets de sorties de singles et d’unrealeased -comprendre: des démos remasterisées sans âme- sont déjà prévus. On pourrait se dire que COWYS2 a été conçu dans cet esprit, mais ce projet était déjà en phase de production avant le décès de l’artiste, voire quasiment fini selon la mère de Lil Peep et Smokeasac. Le travail a été celui de lissage plutôt que de création pure, l’esprit de Lil Peep étant déjà présent dans les compositions et les morceaux. Si surfer sur le décès d’un artiste pour vendre plus de disques est une pratique ne datant pas d’hier, la musique de Lil Peep trouvait son sens dans son aspect désespéré. Au premier degré, ses textes parlaient d’une fin qui arriverait vite, de manière inéluctable et définitive. Lil Peep flirtait avec la Faucheuse, et elle l’a trouvé le 15  novembre 2017. Come Over When You’re Sobert Pt. 2 vient conclure le livre ouvert en 2016 par Crybaby, et c’est une fin sans possibilité de suite. Un album posthume en guise de legs, un an après un décès prématuré, c’est (tristement) la porte de sortie la plus cohérente pour un artiste tel que Lil Peep. Qu’il repose en paix.