2016 en 10 albums

Comme chaque année, votre mur Facebook ne manquera pas de vous rappeler à quel point 2016 fut une concentration de mauvaises choses : décès en pagaille, guerres, album de Renaud, ruptures amoureuses et trahisons électorales sont venus abattre le moral d’un monde toujours au plus bas. Nous, on ne le voit pas comme ça, et on préfère retenir la naissance du potentiel Bowie du technofolk, ce style ravageur qui fera danser la planète entière -enfin ce qu’il en reste- dans les nouvelles années 30, le mariage de Lucas Moura et 10 albums fantastiques qui confirment que, bien qu’on entende le contraire, nous vivons dans une période faste et pour la culture. C’est d’ailleurs sur ce dernier point qu’on a basé cet article. Pour le reste, démerdez-vous.

 

paakAnderson .Paak – Malibu

Artiste providentiel du début de l’année, Anderson .Paak a illuminé les charts hip-hop américains par sa fraicheur musicale. Proposant un r’n’b teinté de soul et de funk, le MC californien prend à contrepied l’omniprésence de l’électronique dans les productions hip-hop actuelles en imposant son liveband, The Free Nationals, comme une entité indissociable de son œuvre. Boosté par des productions de Madlib, Kaytranada ou encore FKi, Malibu s’installe comme une référence pour un hip-hop mainstream alternatif capable de brouiller les genres pour n’en tirer que le meilleur. Batteur d’origine, .Paak prend plaisir à alterner les casquettes et délivre un disque éclectique et joyeux qui le propulse parmi les valeurs sûres de la scène actuelle.

 

alkapote

Alkpote et Butter Bullets – Ténébreuse Musique

Histoire magnifique que celle de la Ténébreuse Musique. Fusion impie entre Butter Bullets, groupe de rap composé de Sidi Sid et Dela, et Alkpote –qu’on ne présente plus-, l’entité Ténébreuse Musique était déjà connue des amateurs de bizarreries rapologiques au travers de quelques connections entre Alk et Butter Bullets. Sorti grâce au crowdfunding, l’album Ténébreuse Musique est un de ces objets rares comme il en sort peu, fruit de deux séances d’enregistrements à base de fromage, de drogues et de rigolades (selon les dires des intéressés). Une plongée improbable dans un univers complétement barré, fait de références à Hitler, Patrick Sébastien, aux dessins animés japonais, le tout étant évidemment d’une qualité incroyable. Nul doute qu’on tient là un des meilleurs albums de rap français (rien que ça), qui repousse les limites du génie à chaque morceau. Les productions incroyables de Dela (beatmaker de Butter Bullets) et DJ Weedim s’accordent parfaitement avec l’univers sombre et caustique du projet, rempli de punchlines plus salaces et efficaces les unes que les autres.
L’album Ténébreuse Musique est ce plaisir coupable ou non qu’on souhaitera faire découvrir à tous nos amis amateurs de rap, surtout à ceux qui disent que le rap c’était mieux avant. « Savoure la qualité du produit », nous dit Alkpote. C’est chose faite.

 

tribeA Tribe Called Quest – We Got It From Here… Thank You 4 Your Service

Mais qui aurait parié sur un album d’ATCQ en 2016 ? Probablement pas grand monde. Cependant si le hip-hop est le porte-voix de la rue, les vétérans du Queens y apportent plus que jamais leur contribution avec un sixième album censé et diablement efficace. L’album, intégralement produit par Q-Tip, nous offre 16 titres aux inspirations éclectiques (Black Sabbath, Elton John) oscillant entre tendances actuelles et formules gagnantes du temps jadis. Pourtant (presque) au grand complet les rappeurs New Yorkais n’hésitent pas à s’entourer des figures du rap contemporain tel que Kendrick Lamar ou Anderson .Paak. Passage de flambeau réussi donc pour un dernier album qui restera dans les mémoires comme un hommage vibrant à Phife Dawg membre du groupe et décédé en mars dernier.

 

oceanFrank Ocean – Blonde

Après une attente interminable, Frank Ocean nous livre un deuxième opus d’une richesse inouïe. Le natif de Californie nous brosse un portrait du monde tel qu’il le voit, à travers son quotidien d’enfant introvertie. Lumières obscures, sensations et odeurs, viennent animés des souvenirs sombres et brumeux où Frank Océan apparait plus nostalgique que jamais. Une musique progressive où le producteur met en scène un casting prestigieux : Tyler the Creator, Pharrell et Kanye West, Beyoncé, André 3000, Kendrick Lamar pour ne citer qu’eux. Malgré un communication hasardeuse, Frank Ocean nous délivre un deuxième projet à la hauteur du précédent Channel Orange. C’est vous dire s’il a bien bossé Franky.

 

jamesblakeJames Blake – The Colour In Anything

Arrivé subitement au début de la période estivale, le troisième album du chef de file de la génération dorée de producteurs interprètes anglaise fait mouche dès ses toutes premières secondes et le sublime Radio Silence. Le nouveau James Blake se permet de transformer sans vergogne une pop minimaliste en un mariage de sonorités électronique, hip-hop, classique et soul pour garnir une musique illustrant à merveille les courants musicaux actuels. Plus engagé et varié que ces prédécesseurs, TCIA réussit le pari de l’ouverture des genres, confortant ainsi son concepteur au rang des monstres sacrés de la musique actuelle.

 

kanyeKanye West – The Life of Pablo

The Life of Pablo, que Yeezy définira lui-même comme un album de gospel tant que de hip-hop, est un objet qui étonne par sa spontanéité et son audace. Soyons clairs, il n’a sûrement pas été composé à la va-vite : Kanye est toujours un grand perfectionniste, sait toujours aussi bien s’entourer, choisir ses samples, créer des morceaux tant accessibles qu’originaux. Mais cet album, plus qu’aucun autre de l’artiste, a une construction totalement débridée : chants autotunés, rap cadencé, patchworks anarchiques de samples, instrus actuelles ou encrées de nostalgie, tout vient se mélanger dans un « joyeux bordel » qui trouve néanmoins une certaine cohérence après plusieurs écoutes. Et encore, sur ce point aussi, Kanye nous déroute. Car TLOP a encore été travaillé après sa sortie : alors qu’il n’est disponible qu’au format digital, il a été plusieurs fois « mis à jour » par le rappeur durant l’année, et le sera peut-être encore dans le futur. De l’ajout de petits éléments à la remasterisation entière de certains morceaux, ces modifications ont transformé l’album dans sa forme tout en conservant son fond, appuyant cette notion de spontanéité que j’évoquais. Une révolution pour la création musicale ? Peut-être, mais aussi une technique visant à être omniprésent et à nourrir l’appétit des fans, stratégie qui peut se révéler payante sur les plateformes de streaming. Quoi que l’on en pense, la démarche est intéressante. Et puis retravailler un album qui reste de très bonne facture, c’est toujours mieux que d’en sortir quatre très mauvais en un an, wesh alors !

 

metallicaMetallica – Hardwired… To Self-Destruct

Boom ! Metallica est revenu en cette fin d’année avec un dixième album studio enragé, synthèse triomphante de ses influences. James Hetfield, véritable machine à riffs et exceptionnel songwriter déconcerte par la qualité de son chant redécouvrant sur certains morceau sa voix, Lars Ulrich en grand forme appuie la noirceur des textes, Kirk Hammett régale de soli parfois sans fin, Robert Trujillo déverse un groove trop étouffé dans la production mais terriblement délicieux. Harmonieux et furieux comme il se doit, Metallica restera le groupe qui créera le plus de polémiques, mais réussit ici à mettre (quasiment) tout le monde d’accord.

 

jaarNicolas Jaar – Sirens

Le prodige new-yorkais a désormais délaissé la house chaleureuse qui a construit sa légende pour une musique plus bruitiste et expérimentale. Si la trilogie Nymphs permettait de le voir venir, Sirens annonce clairement les nouvelles affinités musicales de Jaar, qui viennent flirter avec l’IDM sur certains moments. Si l’album, dans son ensemble, peut sembler compliqué à saisir et déstabilisant, il est regorge néanmoins d’une grande quantité de moments de grâce qui prouve tout le génie du producteur. Sans contestation, le pilier central de ce disque est le torturé No, hymne politique en espagnol faisant écho à l’enfance chilienne de Jaar, premier son que l’on pourrait qualifier de personnel venant du jeune homme, ce qui brouille un peu plus les frontières entre pop et électroniques.

 

obscuraObscura – Akroasis

L’Allemagne a toujours eu une relation forte avec les sphères éthérées du Metal (probablement due à son amour des Panzers), et surtout pour ses formes les plus extrêmes et techniques. Digne représentant du genre, Obscura revient sur le devant de la scène après 5 ans d’absence et un changement de line-up, pour livrer Akroasis. Si les fans de la première heure craignaient la redondance et une perte de vitesses suite au départ du batteur et d’un des guitaristes, quelle ne fut pas leur surprise en découvrant un album à la fois technique et complexe, mais surtout diablement accrocheur et efficace. Bien plus musical que ses prédécesseurs, Akroasis semble être le pinacle du Death Technique : mélodique sans être fade, accessible sans être banal, bourré à ras-la-gueule de soli d’une intensité rare, et porté par une inspiration bienvenue. Sorti en début d’année, l’album a réussi à tenir sur la durée face à d’excellentes sorties dans le même genre un peu partout dans le monde, et c’est là le talent d’Obscura : marquer les esprits au fer rouge avec des mélodies cosmiques, toujours avec une sérénité et un talent déconcertant.

 

radioheadRadiohead – A Moon Shaped Pool

Cinq ans après le très électronique et un peu plus compliqué ‘The King of Limbs’, le nouvel opus de la bande à Thom Yorke a su mettre tout le monde d’accord. Dans la veine de leur ‘In Rainbows’ de 2007, en un peu plus acoustique, ‘A Moon Shaped Pool’ est un doux voyage d’une beauté et d’une richesse inouïe. Et ce d’un bout à l’autre, du majestueux ‘Burn the Witch’ jusqu’au romantisme adolescent de ‘True Love Waits’, une chanson que le groupe joue en concert depuis 1995, mais qui n’avait jamais été sortie en version studio faute d’avoir trouvé « l’arrangement idéal ». Le perfectionnisme poussé à l’extrême, c’est ce qui fait de Radiohead un groupe dont la créativité époustoufle à chacune de leurs sorties depuis plus de vingt ans.

 

cohenbowieBonus : Hommage à David Bowie et à Leonard Cohen

Le parallèle peut sembler réducteur et opportuniste, mais on a tout de même voulu le faire. Chacun dans son domaine fut une grande légende respectée par plusieurs générations et a profondément influencé ceux qui l’ont suivi, surpassant la musique pour s’exporter dans d’autres arts comme la littérature ou le cinéma. Avec Blackstar, Bowie livre un album d’une qualité comparable aux colosses qu’il bâtissait déjà un demi-siècle auparavant, tels que Space Oddity. De son côté, Cohen a publié le puissant You Want It Darker, ultime témoignage d’une carrière d’une longévité similaire au premier. Ces deux albums, déjà acclamés à leur sorties, ont pris une dimension mystique lors des malheureuses disparitions de leurs fondateurs une poignée de jours plus tard. Chacun, de par le noirceur -à débuter par leur titre-, s’impose comme la brique finale évidente et calculée d’une carrière qui dépasse une vie. Et finalement, on préfère retenir le gain de deux magnifiques disques plutôt que la perte de deux titans.

 

Sélection et rédaction réalisées par Noé Beal, Pierre-Elie Diby, Thomas Hammer, Samuel Kurtz et Julien Pionchon.