Radiohead – Nuits de Fourvière – Lyon

En ce mercredi 1er juin, la ville de Lyon connaissait une éclaircie de taille. Au-dessus des Théâtres romains de Fourvière, les nuages laissaient enfin de la place à l’été, qui débute comme chaque année en même temps que le festival des Nuits de Fourvière. Cette fois-ci, le rassemblement estival lyonnais frappait un grand coup en programmant Radiohead en ouverture. On était présent à ce qui ressemble incontestablement au concert de l’année dans la région.

r1.2

Pour comprendre le caractère exceptionnel de cet événement, il convient de le replacer dans son contexte. Fort d’un 9ème album très bien accueilli, Radiohead s’est lancé dans une nouvelle tournée passant par (seulement) 18 villes à travers le monde. Au vu de l’immense popularité dont le groupe bénéficie encore aujourd’hui, chaque place vaut son pesant d’or, et c’est déjà une belle prouesse de la part des Nuits de Fourvière que de signer le quintet anglais, d’autant plus que cette date-là était la plus petite en terme de nombre de places. Cela s’est ressenti lors de la mise en vente : tous les tickets ont été vendus instantanément sur les billetteries en ligne. Le meilleur moyen de se procurer le précieux sésame était de se rendre au point de vente officiel, situé place Bellecour, mais là aussi, patience et chance faisaient parties du jeu. Malgré une politique très stricte sur les ventes de billets (contrôles d’identité, vente réglementée) imposée par le groupe, le marché noir s’avère un bon indicateur du niveau d’attente de ce concert. Avec un prix de revente avoisinant les 500€ sur certaines plateformes, on comprend facilement à quel point la présence de Radiohead dans la capitale des gaules est extraordinaire.

bellecour

En mai, le groupe est revenu en force sur le devant de la scène avec la sortie de A Moon Shaped Pool, 9ème album studio enregistré entre Saint-Rémy-en-Provence et Londres ces deux dernières années. Symbole d’un retour à des racines plus « rock », avec un aspect orchestral en plus, cet album confirme la maîtrise totale du groupe, toujours capable de renouveler sa musique tout en gardant cette touche unique. Dans la continuité de AMSP, la tournée actuelle s’inscrit vers un retour aux bases du groupe, contrairement à la tournée précédente (TKOL tour en 2011 et 2012), centrée sur des expérimentations beaucoup plus électroniques et abstraites, qui n’avaient pas fait l’unanimité. Rien qu’avec la petite poignée de dates qui précédant Lyon (des concerts à Amsterdam, Paris et Londres), Radiohead a réactualisé un grand nombre de titres passés non-jouées depuis 2009. A chaque date, le groupe se plaît à surprendre son audience en variant ses setlists. Mis à part les premiers morceaux, calqués sur ceux de l’album, pratiquement aucuns ne sont certains d’être joués. Avec un répertoire de tournée dépassant déjà les 50 titres, Radiohead possède une liberté dans ses choix artistiques qui se fait rare, dans un milieu où les concerts de grands artistes se cantonnent le plus souvent à un récital best-of linéaire, crée pour satisfaire de la plus primaire des manières le public.

Chez Radiohead, cette liberté artistique, associée à la complexité technique des chansons jouées, permet de dégager de réelles « impressions de live », où les petites fautes de chant, d’accords ou de mauvais réglages se font sentir, mais rendent le concert bien plus humain et sincère. A Fourvière, cela s’est ressenti particulièrement en début de set, qui suit dans l’ordre la tracklist de AMSP. En guise d’intro, Burn The Witch souffre de l’absence d’orchestre en soutien. La version live, plus rock, s’avère dénuée de la saveur qui rend le titre si particulier. Daydreaming permet à Thom Yorke d’exprimer ses compétences en chant et en bidouillage vocal, tout en offrant au public les premiers frissons. Derrière, Decks Dark offre les premières occasions de se trémousser. Ce sera encore plus le cas lors de Ful Stop, interprété dans un chaos magnifique, où légers soucis de micro et larsens sont compensés par une interprétation bourrée d’énergie. En enchaînant sur Optimistic, titre joué pour la première fois depuis 7 ans, le concert est définitivement lancé. L’énergie développé par les anglais en jouant des titres foncièrement rock fait plaisir à voir, sachant que Radiohead est un groupe qui n’aime pas regarder derrière lui.

Une fois mis en route, la machine Radiohead alterne titres énergiques et balades. Pratiquement tous les albums du groupe sont défendus, ce qui relève de la qualité de l’ensemble de leur discographie. Tant au chant qu’aux instruments, le groupe prend du plaisir à se représenter, et n’hésite pas à sortir des sentiers battus. L’outro du poignant retour de Subterranean Homesick Alien, avorté puis repris par Yorke, témoigne d’une aisance et d’un perfectionnisme propre au groupe. C’est dans ce climat que le set principal évolue, ponctué par quelques moments de grâce : No Surprises, morceau relativement discret dans les concerts de Radiohead, fait son effet en tant que ballade connue de tous. Avec deux morceaux consécutifs de TKOL, Lotus Flower et Feral, le concert gagne en intensité et permet au groupe d’avoir une approche plus électronique. Tout peut alors dérouler, avec un combo Idioteque et Climbing Up The Walls en guise de premier final explosif.

live1

Le premier rappel sera dans la même tendance. Après un mignon The Numbers pour se réchauffer, le groupe lance Exit Music et instaure un silence total dans le public du théâtre romain, suspendu aux magnifiques chants de Thom Yorke et aux bidouillages de guitares venus d’un autre monde réalisés par Jonny Greenwood. Cette écoute totale, où tout est laissé de côté pour la musique, arrache des larmes à une bonne partie du public, qui ne sait plus trop comment exprimer sa gratitude. Present Tense, joué avec la scène éteinte et les arènes allumées, est également un moment marquant, où même les membres du groupe prennent un réel plaisir à jouer dans telles conditions. Derrière, l’inévitable Paranoid Android s’occupe de satisfaire tout le monde, entre violence rock et délicieux instants ralentis. De quoi conclure un premier rappel absolument splendide, où Radiohead a pu se mettre dans la poche les derniers sceptiques. Malgré une standing ovation longue de plusieurs minutes, le second et dernier rappel sera moins marquant, et s’avère plus être un bonus qu’un réel final. Le pêchu Bodysnatcher maintient la flamme tranquillement éveillée, tandis que You And Whose Army? clôt le récital en douceur.

En 2h30 et 24 titres, les membres de Radiohead ont déroulé la musique qui les distingue du reste du monde depuis bientôt 20 ans. En mettant l’accent sur le dernier album (9 titres joués) tout en laissant une belle part aux précédents, surtout OK Computer, les anglais semblent avoir trouvé le juste équilibre pour une représentation de ce type. Avec un très grand répertoire aux styles variants du rock à guitares aux expérimentations de modulaires électroniques, la composition des sets semble être un véritable casse-tête. Même si on s’y perd parfois, le retour vers un son plus classique permet d’alterner parfaitement entre les styles et les ambiances. Sans faire de fan-service ni d’expérimentations interminables, on vogue entre les époques et les influences. Le groupe impose sans aucun complexe sa patte, et sa présence sur scène devient très vite familiale. Les rictus et mouvements de danse de Thom Yorke dégagent un charisme épatant, qui confirme que le personnage est à la hauteur de sa légende. A sa gauche, Jonny Greenwood incarne à la perfection son rôle d’homme de l’ombre. Toujours en retrait, le plus souvent dos tourné au public, courbé sur ses machines, le multi-instrumentiste fédère continuellement ce son inimitable qui a tant contribué au succès de Radiohead. Aux batteries, Phil Selway, épaulé de Clive Deamer, délivrent des rythmiques complexes. Entre eux, Colin Greenwood se montre relativement discret, mais son jeu de basse ne connaît pas une seule faille durant tout le concert. Enfin, sur la première ligne de scène, Ed O’Brien s’agite bien moins que Yorke et J.Greenwood, mais son jeu de guitare est très bien rodé, ses chœurs puissants, et il s’avère être le membre du groupe le plus communicatif avec le public. On regrettera d’ailleurs ce manque de communication générale, en partie dû au fait que Yorke ne voulait qu’utiliser le français pour s’exprimer avec le public, qui s’est donc contenté de brèves interventions. La meilleure sera la plus déchirante : au moment de remercier son audience, un tonnerre d’applaudissements mémorable se déclenche, à tel point que les remerciements du groupe passent inaperçus. Car le plus important reste la musique, et c’est là que Radiohead excelle depuis un quart de siècle.

live2 live3

Merci à LoLL Willems pour les photos du concert. Vous pouvez retrouver ses clichés ici ou encore ici.