Nos Nuits Sonores : Kraftwerk 3D, Darkside, Garnier et les autres

On les a beaucoup attendu, ces Nuits ! Après une édition 2013 pleine de réussite, c’est avec plaisir qu’on se traîne un Grenoble-Lyon, direction cette fois-ci le quartier ressuscité des Confluences, où les « Nuits » réinvestissent l’Ancien de marché de Gros. Au programme, une nuit classique, avec de très beaux noms, mais aussi, et surtout, le concert spécial d’un groupe a qui ce monde doit beaucoup, Kraftwerk.

 

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Nuit 1 – 28/05

 

Cette nuit commence relativement doucement, après une arrivée peu être un peu tôt, aux alentours de 22h30. Alors que les nouveaux arrivants visitent tous les lieux, on arrive tout juste à la halle 1 pour la fin du set du duo pop lyonnais De La Montagne. Malgré une foule réduite et une ambiance de début de soirée, le duo semble prendre un bon plaisir à jouer à la maison, comme en témoigne les petites piques régulièrement envoyées par la chanteuse, qui donnent le sourire pour bien débuter. Direction ensuite la halle 2, transformée en scène pour B2B pour cette soirée. Les premiers que nous verront seront le jeune Jasper James, bien accompagné de Jackmaster. Lors d’un set très équilibré, les deux messieurs vont chauffer comme il le faut le public lyonnais à coup de house puissante et rapide.

On repart sur la halle 1, pour voir la fin de la performance de trio Odei, qui nous propose un jazz riche en influences électroniques, qui pourrait faire penser aux australiens de BadBadNotGood. Une belle découverte, et une parfaite ouverture pour ceux qu’on attend de pied ferme à Lyon : Darkside. Voilà un moment qu’on voulait les voir, tant les sets de Nicolas Jaar et Dave Harrington sont envoûtants. Et les deux new-yorkais ne passeront pas à coté de cette belle occasion, et offrirons un set comme on pouvait l’attendre : pleins de moments en suspens, où l’atmosphère semble figé, avant de partir sur des kicks lents et hypnotiques. Seulement 5 titres seront joués, mais ils seront bien rallongés et exploités jusqu’au bout. On regrettera juste la fin en queue de poisson concluant Golden Arrow, où le ending ne se composait que d’une accélération progressive qui ne collait pas forcement au reste du set. On en ressort quand même tout émoussé, l’esprit ailleurs.

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La redescente sera d’ailleurs assez violente et va mettre en avant le principal point noir de cette soirée : un monde fou a investit les lieux aux alentours de 00h30 (au niveau du moment de la fin du set de Darkside), ce qui a provoqué un immense croisé entre ceux sortant du concert et les nouveaux arrivants. Après avoir mis 15 minutes à traverser le site (contre 2 au début de la soirée), on se rend compte l’organisation est débordée par cette arrivée massive, et que le site est plein à craquer, qu’il devient difficile de s’asseoir, que les accès aux scènes sont difficiles… Le problème vient ici clairement de l’organisation, qui a certainement explosé le quota de nombres de participants au mètre carré. La solution semblait de clairement diminué le nombre d’entrées, où de revoir l’agencement du site, pas forcement pratique quand on transite entre les scènes.

On ne se démoralise pas, et on se rend à la halle 2 où le chouchou du festival Laurent Garnier prend les platines en compagnie de MCDE, un jeune allemand chef de label chez qui Garnier sortira un EP très prochainement. Si l’ambiance est bonne et la relation entre les DJs semble fusionnelle et joueuse, la folie attendue n’est pas à la hauteur de ce qu’on espérait pour cette belle affiche, Garnier voulant certainement jouer un peu trop sur le terrain de MCDE, et ce dernier s’en sortant finalement mieux que son aîné. On va donc choisir de faire l’essui-glace entre les 2 premières halles, sacrifiant la 3ème, plus punk et garage. Sur la première scène, on retrouve Kosme, qui va en profiter pour jouer son set devant plusieurs milliers de personnes. Encore peu connu au-delà des frontières lyonnaises, le local de la soirée profite du beau cadeau offert par les organisateurs, et nous livre un excellent mix techno sur vinyle. On verra également un bout du set du titan Marcel Dettmann, qui ne fera pas dans la dentelle en infligeant une grosse claque pleine de techno berlinoise à un public comblé. On retiendra notamment le remix de Dettmann himself du Bad Kingdom de Moderat, certainement un des meilleurs moment de cette fin de soirée, qu’on finira d’ailleurs sur le Revenge of the  Lol Cat joué par Garnier.

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Cette soirée présente, pour nous, un bilan plutôt positif, même si une série de petits mauvais points ternie cette nuit. Tout d’abord, les problèmes de débordement en milieu de soirée sont inacceptables pour un événement de cette ampleur, et plombent l’image du festival. Dans la liste des autres regrets, on pourra parler de la qualité sonore plus que moyenne, mais aussi de ce public, très jeune, ivre et peu connaisseur, plus venu ici pour profiter d’une boite géante que d’une soirée de beau niveau musical.

Concert spécial : Kraftwerk 3D

 

En 1991, lors du dernier passage du groupe de Düsseldorf entre Rhône et Saône, la majorité du public présent à cette édition des Nuits Sonores n’était pas né. Depuis, la discographie du groupe a peu changé. En revanche, les technologies évoluent désormais plus vite que le son, et Kraftwerk en est conscient. On explique d’ailleurs leur discrétion, marquée depuis l’avènement d’un 21ème siècle qu’ils ont anticipé, par touts les travaux de numérisation auxquels la bande à Ralf Hütter s’est livré, que ce soit pour le son, puis pour une 3D inédite dans le milieu musical. Le résultat se contemple depuis quelques années, principalement dans des lieux conceptuels (le MoMA de New-York, l’Opera de Sydney…), et voir le groupe se révèle être assez compliqué, tant par le prix que par la rareté des shows. Pour nous, pas de doutes, ce concert étant l’un des plus grands événements de ces dernières années en Rhône-Alpes, nous sommes venus.

Ce premier dimanche de juin, on retrouve donc la halle 1 qui a accueilli beaucoup de beaux noms les nuits précédentes. Les portes s’ouvrent tardivement, et il faudra plus d’une heure pour remplir le lieu. De jolies lunettes 3D sont fournies – on est content, on a déjà un souvenir. La moyenne d’age des spectateurs gagne plusieurs décennies par rapport aux autre soirées, et c’est tant mieux, tant qu’on peut éviter une partie du public moisit qu’on a vu sur le reste du festival. L’attente monte progressivement, et le rideau cachant la scène se lèvera finalement à 21h45, l’heure où les lunettes de soleil laissent place à celles de 3D. Attachez vos ceintures, nous partons en voyage pour deux bonnes heures.

D’entrée, le décors est posé avec une belle intro sur The Robots. Difficile de faire une meilleure entrée en matière, tant au niveau sonore (plus rien n’est a prouvé là dessus) qu’au niveau du visuel, où la 3D joue remplie son rôle à merveille, projetant les paroles sur l’écran derrière la scène devant les artistes. Seul problème, syndrome récurent de notre triste époque connectée : ces centaines de smartphones brandis en l’air qui, en plus de capté un écran flou, nous empêche de profiter pleinement du spectacle. Situation cocasse pour un groupe de la trempe de Kraftwerk, n’est-ce pas ? On oublie, parce que derrière, les visuels sont exploités à merveille. On obtient en effet un ticket unique vers ce tentaculaire et futuriste fantasme qu’est Metropolis, et c’est dur d’en décrocher. Et pourtant, on n’en est qu’à l’apéro.

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La suite, c’est un enchaînement ahurissant de plus de 80 minutes des plus grand titres du groupe. On retiendra notamment l’immense Radioactivity, dont la version live a encore été améliorée depuis Minimum / Maximum. L’orchestration est parfaite, la vidéo colle parfaitement à la musique. Immense. Autre moment chargé de frisson, le mélancolique Spacelab nous fait voyager autour de notre bonne vieille Terre à travers une navette spatiale. L’ambiance est proche de Gravity, jusqu’à ce que l’image s’approche de la France, puis de Lyon, puis du quartier des Confluences, le tout sur cette musique mélancolique. Aucune pause ne nous sera permise, et on enchaînera coup sur coup les légers solos jouissifs de Das Model, une découverte interactive de moyens de transports, comme le train de Trans Europe Express, les voitures d’Autobahn ou bien les vélos de Tour de France. Et on ne vous en énumère pas le tiers !

Les allemands enchaîneront un rappel à la hauteur du reste, en introduisant une touche plus dance à l’ensemble, à cheval entre hommages et critiques du son électronique moderne, comme avec Boing Boom TschakTechno Pop et Music Non Stop enchaînés d’une traite. Sur le final Aero Dynamik, le public se transforme même en un dancefloor, porté par un son qu’on qualifierait presque de house. L’idéal pour clôturer ce festival.

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Au delà de la fierté d’avoir eu la chance de voir le groupe pilier des musiques électroniques, un concert de Kraftwerk provoque également une foule d’émotions, comme la musique nous l’offre rarement. Si l’on ajoute à cela l’aventure incroyable qu’est cette 3D, on pénètre dans un monde ultra-immersif, et, au rallumage des lumières, le vrai monde nous paraît bien étrange tant la déconnexion avec celui-ci fut intense durant plus de deux heures. L’expérience de la 3D est une totale réussite, et l’apport de la musique rend cette expérience nettement plus intense que n’importe quel film ou animation utilisant cette technologie. Une nouvelle fois, et malgré une carrière étalée sur presque 50 ans, Kraftwerk demeure en constante avance sur son temps, et claque le bec à l’intégralité des tourneurs misant des sommes astronomiques dans des scénographies titanesques. On peut aimer les montagnes de Kanye West, les bracelets lumineux de Coldplay, mais la 3D de Kraftwerk est belle et bien l’élément le plus apte à transformer un concert en un spectacle total.

Merci à Anestis Alexandridis pour ces photographies.